Droit du travail

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L'insuffisance professionnelle se caractérise par l'incapacité d'un salarié à accomplir de manière satisfaisante le travail confié : les compétences dont il dispose ne lui permettent pas de répondre aux attentes "raisonnables" de son employeur. Elle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, mais elle ne doit pas être confondue avec la faute.

 

TraitL'insuffisance professionnelle comme cause réelle et sérieuse de licenciement

L'insuffisance professionnelle peut être retenue comme un motif de licenciement, inhérent à la personne du salarié. Pour cela, il faut que l'employeur se fonde sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié. Bien entendu, pour que l'employeur puisse se prévaloir de l'éventuelle insuffisance professionnelle de son salarié, encore faut-il que les tâches qui lui ont été confiées soient celles pour lesquelles le salarié a été recruté et qu'elles relèvent de sa qualification.

Il a par exemple été jugé que constituent une insuffisance professionnelle les faits suivants:

- erreurs entraînant en permanence des opérations de redressement et inaptitude à s'adapter aux conditions de travail liées à l'organisation du cabinet (Cass. Soc. 6 déc. 2000, 98-45.929),

- erreurs et retards imputables au salarié dans l'établissement de devis, la passation de commandes aux fournisseurs, la facturation aux clients (Cass. Soc. 4 déc. 2013, n°13-23.063),

- un salarié qui n'a pas plus donné satisfaction dans ses dernières fonctions que dans les précédentes, dont le volume de travail était très insuffisant et dont les travaux étaient très souvent inutilisables (Cass. Soc. 4 janv. 2000, n°97-45.292)

Inversement, ne constituent pas une insuffisance professionnelle susceptible de justifier valablement un licenciement:

- les quelques erreurs non significatives commises au cours des dix derniers mois par une secrétaire qui n'a fait l'objet d'aucun reproche au cours de ses 10 années de collaboration (CA Lyon, 29 juin 2018, n°17/02857)

- l'absence chronique d'ardeur au travail

- le simple « manque d’imagination, d’initiative et de dynamisme commercial » d’un responsable de succursale en raison d’un manque de faits précis et matériellement vérifiables

L'insuffisance professionnelle invoquée à l'appui d'un licenciement sera toujours appréciée, au cas par cas, par les juges du fonds. Mais, il faut garder à l'esprit un aspect important du rôle de l'employeur: celui d'assurer  l'adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations (art. L6321-1 du code du travail).

Il en résulte que l'employeur ne pourra pas reprocher à un salarié son insuffisance professionnelle s'il n'a pas lui-même satisfait à son obligation de formation et d'adaptabilité. En revanche, lorsque malgré les efforts de formation et d'adptation de l'employeur, le salarié fait preuve d'un manque total d'autonomie et n'arrive pas à mener à bien ses missions, son licenciement fondé sur son insuffisance professionnelle est parfaitement justifié (Cass. Soc. 16 mai 2018, n°16-25.552).

Enfin, comme indiqué ci-dessus, l'employeur doit garder à l'esprit l'importance de l'entretien d'évaluation dont le compte-rendu peut venir renforcer ou desservir son argumentaire relatif à l'insuffisance professionnelle de son salarié.

En effet, dans l'arrêt du 14 février 2024 cité en introduction, la Cour de cassation retient, pour considérer que le licenciement pour insuffisance professionnelle est justifié, que la salariée a bénéficié d’un entretien d’évaluation au cours duquel sa responsable lui a fait part de son insuffisance professionnelle, lui a précisé les améliorations attendues pour y remédier et rester à sa disposition pour l’accompagner, que la salariée a pu s’expliquer et que l’entretien a donné lieu à un compte-rendu écrit, qui lui a été transmis.

Inversement, un compte-rendu d'entretien favorable au salarié peut être produit par ce dernier pour contester la validité de l'insuffisance professionnelle invoquée à l'appui du licenciement. Par exemple, dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt rendu le 22 mars 2011, la Cour de cassation a considéré qu'aucun des manquements imputés au salarié n'était établi, notamment à la vue du dernier entretien d'évaluation qui avait été établi moins de deux mois seulement avant le licenciement et qui avait conclu à "un vrai travail et des compétences certaines entachées par certaines libertés rien d'irrémédiable" (Cass. Soc. 22 mars 2011, n°09.68.693).

  TraitL'insuffisance de résultats et l'insuffisance professionnelle

Il est important de rappeler que le constat de l'insuffisance de résultat ne permet pas à lui seul de constituer un motif valable de licenciement, ni de caractériser l'insuffisance professionnelle.

Pour que l'insuffisance de résultat puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, encore faut-il que des objectifs aient été fixés au salarié et portés à sa connaissance au début de la période de référence (voir en ce sens notre article publié sur notre site). Ces objectifs doivent en outre être réalistes, compatibles avec le marché et le salarié doit avoir les moyens de les atteindre.

Il a ainsi été jugé que l'insuffisance de résultat qui ne découle pas d'une activité commerciale insuffisante mais de nombreuses difficultés rencontrées avec les magasins démarchés et tenant à des problèmes de qualité sur la marchandise vendue ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement (CA Grenoble, 15 mai 2018, n°16/01411).

En revanche, est justifié le licenciement d'un salarié dont l'insuffisance de résultats est constatée sur plusieurs années, qui refuse de corriger ses carences, malgré les propositions de son employeur et qui préfère remettre en cause les compétences professionnelles de sa hiérarchie (CA Metz, 31 juillet 2018, n°17/02931).

Par ailleurs, lorsque l'insuffisance de résultat est caractérisée encore faut-il déterminer si elle est liée à un problème de compétence du salarié ou à une attitude fautive de ce dernier. La frontière entre faute et insuffisance professionnelle n'est pas toujours aisée à définir. Elle est pourtant capitale car elle détermine la procédure de licenciement applicable et la validité du licenciement notifié.

 

TraitLa faute versus l'insuffisance professionnelle

La jurisprudence est claire depuis longtemps sur ce point: l'insuffisance professionnelle n'a pas un caractère fautif sauf si elle procède d'une mauvaise volonté délibérée du salarié ou d'une abstention fautive de sa part (ex: Cass. Soc. 27 nov. 2013, n°12-19.898).

Il appartient donc à l'employeur de qualifier les faits reprochés au salarié dont il envisage le licenciement pour déterminer s'ils sont constitutifs d'une faute, ce qui supposera le respect de la procédure disciplinaire, ou s'ils relèvent de la simple insuffisance professionnelle.

Ainsi, dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 janvier 2024, la Haute Juridiction condamne l'employeur qui a licencié une de ses salariés pour insuffisance professionnelle alors que "la lettre de licenciement reprochait à la salariée divers manquements à ses obligations professionnelles, tels son refus d'assurer, malgré les directives de son supérieur, le poste de secrétaire de l'instance départementale d'instruction des recours amiables, ses absences aux comités de direction, sans prendre le soin de désigner un suppléant, alors qu'elle avait été alertée à plusieurs reprises par des instructions de son supérieur sur l'importance d'assister à ces réunions, ou encore ses absences aux réunions de l'instance régionale de coordination des CHSCT au cours de l'année 2014 alors que sa fiche de poste précisait qu'elle gérait la politique régionale". Pour la Cour, ces faits sont constitutifs d'une faute, ce qui aurait du conduire l'employeur à respecter la procédure disciplinaire. 

Outre la procédure applicable, une mauvaise qualification des faits conduira à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvrira ainsi droit à dommages-intérêts au profit du salarié. Il a ainsi été jugé que dans la mesure où aucune mauvaise volonté délibérée de la part du salarié n'avait été établie dans la mauvaise exécution de travaux sur chacun des trois chantiers, qui relevait tout au plus de la négligence et de l'insuffisance professionnelle, le licenciement, prononcé à titre disciplinaire pour des faits relevant de l'insuffisance professionnelle non fautive, était sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 6 avril 2022, n°20-22.055).

La prudence s'impose aussi dans la rédaction de la lettre de licenciement. La qualification retenue pour les faits doit impérativement être en cohérence avec l'argumentaire développé. En cas de doute, les juges retiendront le caractère disciplinaire du licenciement qui conduit à appliquer une procédure plus protectrice des droits des salariés. L'employeur court alors le risque d'une condamnation pour irrégularité de procédure et licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

C'est là que faire appel à un professionnel du droit prend tout son sens pour sécuriser pleinement la procédure.

Sachez qu'il reste tout de même possible de retenir, au sein de la même lettre de licenciement, des faits constitutifs d'une faute du salarié et d'autres relevant de l'insuffisance professionnelle (Cass. Soc. 21 avril 2022, n°20-14.408).

Et n'oublions pas que la charge de la preuve de l'insuffisance professionnelle repose sur l'employeur...

   

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