Le juge n’écartera plus systématiquement une preuve obtenue de façon déloyale au cours d’un procès civil. Retour sur une jurisprudence attendue...
En principe les preuves déloyales sont irrecevables et ce en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve. La preuve est qualifiée de déloyale dès lors qu’elle est recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème.
Coup de tonnerre de la part de la Haute Juridiction !
L’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu deux arrêts le 22 décembre 2023 (n°20-20.648 et n°21-11.330) dont l’un constitue un véritable revirement de jurisprudence en matière de droit de la preuve.
Dorénavant, une preuve obtenue de manière déloyale, peut, sous certaines conditions, être recevable.
Ce revirement n’est pas inattendu au regard de la jurisprudence de la chambre sociale qui s’était déjà assouplie depuis 2020 en déclarant par exemple recevable la communication d'informations obtenues au moyen d'un dispositif de vidéosurveillance ne respectant pas les conditions fixées par la CNIL (Cass. Soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263), ou encore la production d’enregistrements extraits d’un dispositif de vidéosurveillance illicite mis en place par l’employeur (Cass. Soc., 08 mars 2023, n°21-17.802).
Revenons sur ces arrêts qui font grand bruit...
Dans le 1er arrêt, pour justifier du licenciement de son salarié, l’employeur apportait pour preuve un enregistrement audio réalisé à l’insu de son salarié.
La Cour de cassation, en sa composition plénière, a jugé recevable cet audio clandestin qui constitue pourtant par nature une preuve déloyale. Pour se faire, elle estime que lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention du requérant et que cette preuve ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse, alors elle doit être admise.
Ainsi, la Cour de cassation rejoint la position défendue par la Cour européenne des droits de l’homme. En effet, cette dernière estime que « la déloyauté dans l’obtention ou la production de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ».
Dans le 2nd arrêt rendu, un salarié ayant tenu des propos désobligeants à l’encontre de son supérieur hiérarchique via des messages Facebook a été licencié. Ce salarié avait laissé la conversation ouverte sur son ordinateur professionnel. Son remplaçant avait transmis la conversation à son employeur qui l’a par la suite licencié.
Pour juger le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a retenu le caractère déloyal de l’obtention de la preuve.
Toutefois, se basant sur une jurisprudence établie, la Cour de Cassation rejette le pourvoi, non pas sur les mêmes fondements que ceux de la Cour d’Appel, mais en retenant qu’il n’est possible de licencier disciplinairement un salarié pour un motif en lien avec sa vie personnelle que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles.
Dans cette affaire, étant donné que les propos échangés constituent une conversation privée, elle ne caractérise pas un manquement du salarié à ses obligations professionnelles, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de s’interroger sur la recevabilité de la preuve
Le 1er arrêt rendu par l’assemblée plénière et qui constitue le revirement de jurisprudence évoqué interroge sur les profondes modifications qu’il risque d’engendrer du point de vue des relations sociales entre l’employeur et le salarié. Doit-on s’en réjouir ? La méfiance et les manipulations ne risquent-t-elles pas d’être renforcées ?
La production de preuve déloyale étant exceptionnellement admise, cela vaut aussi bien pour l’employeur que pour le salarié. L’employeur risque donc lui aussi d’être confronté à un salarié produisant des preuves obtenues de façon déloyale. L’employeur doit donc être très vigilant dans ses paroles et dans ses actes qui peuvent être recueilli, à tout moment, à son insu, et, constituer ainsi une preuve valable dans un éventuel litige prud’homal.
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