Les conséquences d’un avertissement « fantôme » ou quand la Cour voit un avertissement là où l’employeur ne l’avait pas imaginé…

Le code du travail définit la sanction disciplinaire comme « toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération » (art. L1331-1 code du travail).

La sanction doit être proportionnée à la faute commise et à ce titre l’avertissement constitue le 1ᵉʳ barreau de l’échelle des sanctions. Dans la mesure où il n’a pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié, l’avertissement ne nécessite pas la convocation du salarié à un entretien préalable.

C’est dans ces conditions, que les Tribunaux peuvent voir un « avertissement » là où un employeur n’avait pas nécessairement la volonté de notifier une sanction.

Quel est l’enjeu ?

Il existe en droit, un adage « non bis in idem » qui signifie qu’un même fait ne peut donner lieu à plusieurs sanctions. En d’autres termes, si un employeur décide de faire suivre son écrit (qu’il ne considère pas comme un avertissement), d’un licenciement reposant en tout ou partie sur les mêmes faits, ce dernier sera considéré comme « sans cause réelle et sérieuse ».

Dans ces conditions, les conséquences financières pour l’entreprise peuvent être importantes, et ce d’autant plus si l’intéressé a une ancienneté significative ou une rémunération élevée.

L’écrit : avertissement ou non ?

Pour vous donner une illustration concrète de l’analyse faite par les Tribunaux, voici quelques exemples :

À propos d’une mise en garde : 

Une « mise en garde » notifiée par écrit, avec indication qu’elle sera portée au dossier de l’intéressé constitue un avertissement de sorte que le licenciement notifié un peu plus d’un mois plus tard et qui se fonde sur des faits nouveaux mais également sur les faits objet de la mise en garde est sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc. 22 avril 1997, n°94-42430).

Inversement, une « mise en garde » sur la portée des propos tenus par un salarié et qui sont susceptibles d’avoir des conséquences dommageables pour l’entreprise n’a pas valeur d’avertissement (Cass. Soc. 5 juillet 2011, n°10-19561).

À propos d’un courrier de reproches :

Une lettre indiquant au salarié que son attitude avait largement entamé la confiance que l’employeur lui portait a été jugée constitutive d’un avertissement (Cass. Soc. 3 fév. 2017, n°15-11433). 

En revanche, il a été jugé que les lettres de l’employeur qui se bornaient à demander à un salarié de se ressaisir et contenaient des propositions à cette fin ne constituaient pas des sanctions disciplinaires (Cass. Soc. 13 déc. 2011, n°10-20135).

À propos d’un rappel à l’ordre : 

La lettre qui rappelle la présence non autorisée et fautive à plusieurs reprises du salarié dans le local électrique, l’invitant de manière impérative à respecter les règles régissant l’accès à un tel local constitue une sanction disciplinaire (Cass. Soc. 10 févr. 2021, n°19-18903).

A l’inverse, la remarque adressée au salarié par la direction sous la forme d’un rappel à l’ordre en raison du non-respect de l’éthique de la société ne permet pas de caractériser la volonté de l’employeur de sanctionner les faits et ne constitue donc pas un avertissement (Cass. Soc. 19 sept. 2018, n°17-20193).

À l’occasion d’un entretien :

Il vient d’être jugé que « le compte-rendu d’entretien dans lequel l’employeur reprochait au salarié son attitude dure et fermée aux changements, à l’origine d’une plainte de collaborateurs en souffrance, des dysfonctionnements graves liés à la sécurité électrique et le non-respect des normes réglementaires, et l’invitait de manière impérative et comminatoire et sans délai à un changement complet et total », comporte des griefs précis, sanctionne un comportement considéré comme fautif et constitue un avertissement (Cass. Soc. 2 fév. 2022, n°20-13833). Cette décision rejoint une décision plus ancienne dans laquelle il avait été jugée que le compte-rendu d’un entretien où l’employeur formulait des reproches précis à son salarié, l’invitait « instamment » à changer « radicalement » et « sans délai » de comportement sous peine de licenciement disciplinaire, était constitutif d’un avertissement (Cass. Soc. 6 nov. 2019, n°18-20268).

En revanche, le compte rendu d’entretien dans lequel l’employeur énumère divers griefs et insuffisances qu’il imputait à son salarié, sans traduire une volonté de sa part de les sanctionner, n’est pas constitutif d’un avertissement (Cass. Soc. 12 nov. 2015, n°14-17615). 

Vous l’aurez compris : la prudence est de mise dans la rédaction de tout écrit en lien avec le comportement fautif d’un salarié si l’employeur ne veut pas que lui soit accordé une portée qu’il ne souhaitait pas.

Les risques pour l’entreprise

L’écrit qui va être considéré comme une sanction disciplinaire a pour effet de vider le pouvoir disciplinaire de l’employeur.

Dès lors, les faits objet de l’écrit ne pourront plus être invoqués à l’appui d’un licenciement, si ce n’est, en présence de faits nouveaux, pour apprécier le degré de gravité de la faute justifiant la mesure de licenciement. Dans tous les autres cas, le licenciement sera considéré comme sans cause réelle et sérieuse.

Concrètement, cela signifie que l’employeur sera condamné à verser à son salarié une indemnité dont le montant est fixé par un barème qui prend en compte l’effectif de l’entreprise et l’ancienneté du salarié (de 1 à 20 mois de salaire).

À cela s’ajoute, si le licenciement était fondé sur une faute grave ou lourde, les indemnités de préavis et de licenciement.

Enfin, si l’entreprise emploie plus de 11 salariés et que le salarié a plus de 2 ans d’ancienneté, l’employeur peut être condamné à rembourser à Pôle Emploi les sommes versées au salarié au titre des indemnités de chômage du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé (dans la limite de 6 mois).

 

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