INDEMNISATION DES PERTES D’EXPLOITATION : OÙ EN SOMMES-NOUS ?
Par ordonnance de référé du 22 mai 2020, le tribunal de commerce de Paris a condamné la société AXA à verser à un restaurateur une provision de 45 000 € au titre des pertes d’exploitation subies suite à l’arrêté gouvernemental du 14 mars 2020 interdisant à ce type d’établissement l’accueil du public.
Ce faisant, le Juge a considéré que cet arrêté équivalait à la fermeture administrative couverte par le contrat d’assurance.
Peut-on déduire de cette décision que les entreprises assurées au titre de leurs pertes d’exploitation qui n’ont pas pu accueillir leurs clients et qui ont dû cesser leurs activités pourront facilement obtenir réparation ?
En dépit de cette décision, et nonobstant son caractère provisoire (il s’agit seulement d’une ordonnance de référé qui interroge également sur la compétence du juge des référés quant à interpréter un contrat) et la question de la preuve du préjudice allégué, aucun principe général ne peut être tiré de la décision du 22 mai 2020 quant au droit à indemnisation des entreprises au titre des pertes d’exploitation qu’elles ont pu subir lors de la crise du Covid-19.
Chaque situation devra faire l’objet d’une analyse au cas d’espèce pour vérifier si le contrat d’assurance comporte une garantie des pertes d’exploitation, le périmètre et la nature des dommages couverts, les exclusions et conditions de garantie.
Son coût étant généralement élevé, elle n’est pas systématiquement souscrite. Enfin, elle est souvent limitée aux dommages matériels directs (immobilisations, stocks, certaines pertes résultant d’un événement identifié comme un incendie ou un bris de machines) et ne couvre qu’exceptionnellement les dommages indirects.
Selon les chiffres publiés par L’Argus de l’assurance, la garantie dommages indirects, la plus favorable, n’est souscrite que par 15 % des commerces.
Le contrat garantit les pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative : Que recouvre exactement cette notion ?
Pour le restaurateur, l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 constitue un acte de fermeture administrative et aucune clause du contrat n’exclut le risque de pandémie.
Pour la compagnie d’assurance, la fermeture administrative visée dans le contrat concerne une mesure individuelle de police du préfet ou du maire de fermeture d’établissement alors que l’arrêté ministériel invoqué constitue une mesure générale interdisant l’accueil du public qui ne peut être assimilée à l’interdiction prévue par les parties.
Les deux thèses se défendent :
Ne dénature-t-on pas une clause claire du contrat qui ne vise que la fermeture administrative si on l’étend à une mesure d’interdiction d’accueil du public ?
Le contrat ne doit-il pas s’interpréter en faveur du débiteur de l’obligation ? Si le juge peut interpréter le contrat, il lui est en revanche interdit de créer des obligations que le contrat ne prévoit pas.
Au contraire, le contrat ne doit-il pas être interprété de façon extensive contre l’assureur qui l’a rédigé si ses termes ne sont pas parfaitement clairs ?
Le débat ne sera à l’évidence tranché que dans le cadre d’une discussion au fond.
Qu’est-ce qu’une perte d’exploitation indemnisable ?
Le restaurateur demandait une indemnisation des pertes d’exploitation à hauteur de 72 878,33 € correspondant à la perte de marge brute sur 4 mois de fermeture présumée.
Il faut remarquer que la marge brute est un mauvais indicateur du préjudice subi en cas d’arrêt d’activité. La jurisprudence abondante établit qu’une entreprise dans cette situation ne connait pas en pratique un préjudice équivalant à la perte de sa marge brute dès lors que, en raison de l’arrêt de l’activité, elle n’avait plus à supporter tout un ensemble de frais directement liés à l’activité.
La vraie mesure du préjudice pourrait être la marge sur coûts évités, c’est-à-dire la marge brute déduction faite des coûts variables (approvisionnements, salariés en chômage partiel, …) et des frais fixes (loyers annulés, …) qui n’ont pas été supportés du fait de l’arrêt de l’activité (.
Seule la perte de marge effective doit être indemnisée et non les coûts non supportés.
En conclusion, la décision du 22 mai 2020 intéressant la société AXA ne peut apporter une réponse globale et définitive à la question de savoir si les entreprises soumises à l’interdiction d’accueil du public pourront faire prendre en charge leurs pertes d’exploitation par leur compagnie d’assurance.
Tout dépendra des stipulations contractuelles et des situations d’espèce ainsi que des décisions à venir de la cour d’appel et, le cas échéant, des juridictions du fond.